6 avril 2020
La démarche d’achat responsable ne date pas d’aujourd’hui. En atteste la lettre du 17 Juillet 1685 écrite par Vauban alors ingénieur et architecte militaire sous Louis XIV qui s’en prend au ministre Louvois surintendant des bâtiments.
En démontrant que sa politique d’achat basée sur le prix le plus bas est inefficace, Vauban critique ainsi la stratégie de sélection des fournisseurs fondée sur le principe du moins disant.
Cette lettre – trois siècles plus tard – nous renseigne sur l’impact qu’avait déjà une mauvaise politique achat lorsqu’elle ne jure que par le critère prix le moins cher et sur le choix des sous-traitants les moins performants qui en découle. Extraits choisis…
Dès le début de sa lettre, Vauban déplore l’impossible réception de plusieurs chantiers due à la «…confusion que causent les fréquents rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marchés, manquements de paroles et renouvellements d’adjudications ne servent qu’à vous attirer tous les misérables…et les ignorants, pour entrepreneurs, et à faire fuir tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une entreprise ». Il décrit ici l’indispensable confiance dans la relation d’affaire et affirme que les meilleurs fournisseurs préfèrent ne plus candidater. Le risque de construire une concurrence insuffisante jusqu’à rendre un marché infructueux est réel. L’implication des grands donneurs d’ordre dans leur filière est un axe de la démarche d’achat responsable.
Vauban poursuit « …il est d’un entrepreneur qui perd comme d’un homme qui se noie, qui se pend à tout ce qui peut ; or, se pendre à tout ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, est ne payer les marchands chez qui il prend les matériaux… ». Il dénonce ici le non-respect des règlements fournisseurs que nous pouvons aujourd’hui facilement traduire par celui des délais de paiement, première préoccupation des PME. Cette problématique est relayée depuis 10 ans par le médiateur des entreprises notamment via la Charte RFR.
La notion de coût global d’acquisition ou Total Cost Ownership (TCO) est un levier à part entière de la démarche d’achat responsable. La Charte RFR mentionne clairement les bonnes pratiques quant à la prise en compte du TCO plutôt que le prix facial.
Vauban affirme que les remises en cause d’adjudication de marché, impactent le TCO de l’ouvrage : « …elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages qui n’en sont que plus mauvais, car ces rabais et bons marchés tant recherchés sont imaginaires …n’avoir que les plus mauvais parce qu’ils se donnent à meilleur marché que les autres, n’employer que les plus méchants matériaux… En un mot, tous les rabais reçus sur les ouvrages de Brest et de Belle-lsle n’en ont fait baisser le prix qu’en apparence ; car, en effet, ils les ont si bien renchéris que la forme de Brest coûtera dix mille écus de plus qu’elle ne devrait avoir coûté ».
Vauban poursuit en proposant à Louvois la prise en compte d’un coût global forfaitaire pour chaque ouvrage et non plus l’adjudication de marché borné dans le temps (cf mode régie) : « Ne faites plus les marchés à l’année mais pour tels et tels ouvrages ».
Il rappelle la nécessité de veiller à la situation financière du sous-traitant et de son savoir-faire tant technique que gestionnaire d’entreprise : « Mais surtout n’acceptez point d’entrepreneur qui ne soit solvable et intelligent ; c’est l’unique moyen d’être bien servi. En user autrement, vous ne verrez jamais la fin des ouvrages qui vous coûteront le tiers ou le quart plus qu’ils ne vaudront… ».
Dans cette lettre, Vauban éclaire Louvois sur la nécessaire mise en place d’une démarche d’achat responsable pour garantir le respect des budgets en considérant le TCO des projets, et, des contrats conclus auprès des sous-traitants permettant ainsi de promouvoir une politique fournisseurs durable.
Par Yann Le Coz
Article paru dans La Lettre des Achats – Avril 2020